LE REATBLE D'ALBACETE:
ORATOIRE DE MARIE MADELEINE
J’ai donné deux titres à cette manifestation artistique, l’un matériel, “Le
retable d’Albacete”, l’autre plus spirituel, “L’oratoire de Marie Madeleine”.
Je vais donc tenter d’expliquer la forme et le contenu de cet oeuvre espérant
que chacun puisse y rajouter sa touche personnelle.
Après le retable d’Issenheim du Musée de Colmar en Alsace qui pour moi clôt
d’une façon extraordinaire le Moyen-Âge, l’image du retable prend différentes
directions. Dans ce chef d’oeuvre, la force de la peinture expressionniste
rhénane avait été poussée aux limites de l’angoisse , entourées de remarquables
statues les peintures s’ouvraient en plusieures couches suivant le calendrier liturgique
comme un livre de la Foi.
À la suite de cette période, on assiste à une véritable explosion de
commandes de retables (sauf en France): en Italie où ils restent modestes car
c’est l’architecture qui se taille la meilleur part, dans les Flandres où il
est commandé, non sans arrière pensée speculative, à des peintres célèbres
comme Rubens et Van Dyck, en Espagne enfin où c’est une veritable surenchère.
L’Espagne invente un délire tapissant entièrement les choeurs, une
accumulation de richesses et de décors qui s’exportera dans toute l’Amérique du
Sud, laquelle rajoutera encore d’énormes miroirs.
C’est un immense groupement d’écrans d’ordinateurs changeant aux
lumières des vitraux, aux reflets des ors des colonnes, dans les fumées des encensoires.
Les scènes se développent et s’imbriquent en formats differents et tout frappe
par sa grandeur et sa diversité. On cherche des détails, on découvre des
visages et d’autres se cachent, tout surgit à la fois ou disparait dans la
profusion.
C’est cet aspect d’énorme
bande dessinée que j’ai voulu explorer dans le retable d’Albacete sur le thème
de Marie Madeleine, c’est cette forme de retable qui s’est imposée à moi
lorsque je suis entré dans la cour de” l’Asunción”. Dans les différents
oratoires que j’ai pu faire comme celui du Palais Royal de Naples ou celui des
cordonniers à Romans, la chose noire qui est présente dans tous mes tableaux
comme contrepoint et anti-thèse de la vie est au centre de l’espace réel: une
lame noire plantée dans le sol.
Celui qui regarde doit aussi
se sentir regardé: la chose noire n’est pas que dans les tableaux vus mais dans
l’espace parcouru et bien que ce soit un
symbole elle a une existence comme tout objet, sauf que contrairement à un
objet elle n’a pas de sens.
Lorsque je construis un
oratoire il est conçu pour le lieu où il se placera et uniquement pour cet
espace, ce batîment, cette ville, ce terrain culturel. “L’oratoire pour les
napolitains qui dorment sous nos pieds ”
est indisociable de l’identité profonde de la ville de Naples. De même, ici
j’ai approfondi la recherche d’une sorte de “compassion”, une participation
émotive en créant un espace terreux semé de cierges et de couteaux d’Albacete
devant le retable, comme un tombe ou un cimetière d’ex-votos.
On le contournera pour voir
les tableaux et on tournera le dos à la chose noire. L’espace est mis en scène
pour que le spectateur soit un acteur d’un cérémonial simple et naïf, sans
point de vue privilégié. L’aspect “dédié au plus grand nombre “ est important
dans ma démarche car il élimine toute forme d’élitisme, cet élitisme qui lié au
pouvoir financier a consacré le divorce avec l’art contemporain.
Je relance l’idée de
commande, de contrat, de collaboration entre l’artiste et l’ensemble des corps
territoriaux composant le tisu culturel
,politique ou associatif dans le but d’injecter par une oeuvre emblématique
une impulsion à la vie de la cité. Elle doit être la somme de toutes les forces
existentes pour un projet d’avenir.
En art, tout est politique au sens noble du mot même si parfois le mot
culture dont je me méfie beaucoup s’écrit avec un “K” comme “Kampf”.
Mais avant de travailler sur
l’espace avec maquette, et plans il s’agit donc de procéder à un “travail de
commande en creux”. C’est à l’artiste de faire une enquête, une recherche sur
ces fameuses forces impulsives qui vont donner le sujet de l’oeuvre, il est
porte-parole.
Alors pourquoi l’oratoire de
Marie Madeleine? C’est à la suite de ce “travail en creux” que j’ai proposé ce
thème, n’ignorant pas que la sainte, depuis quelques livres et films célébres
jouie d’une audience planétaire qui pourrait être un handicap. Une femme belle,
courageuse, forte auréolée du prestige de la rencontre avec le fils de Dieu et
de plus devenue un personnage médiatique, tout pour refuser cette candidature
trop spectaculaire, et bien, si! Le personnage est assez riche et étonnant pour
paraître à Albacete, l’entreprenante, l’audacieuse comme elle.
Car ces deux adjectifs sont
la clè de mon travail artistique d’installation de la sainte dans la ville
d’Albacete. Nous devons en trouver l’origine dans les textes.
Marie vient de Magdala ce qui
signifie la tour ou forteresse, ancienne ville de pêcheurs, haut lieu de la résistance
galiléenne à sa rivale, Tibériade, considérée comme impure car construite sur
un cimetière et peuplée de fonctionnaires étrangers et de païens .
Marie, une femme malade? “Jésus cheminait à travers villes et villages,
il prêchait et annonçait la Bonne Nouvelle
du Royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui, ainsi que des femmes qui
avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies: Marie, nommée la Magdaléenne , dont sept
démons étaient sortis, Jeanne, femme de Chouza intendant d’Hérode, Suzanne et
beaucoup d’autres qui les assistaient de leurs biens” (Luc 8,1-3)
Il faut savoir qu’un malade à l’époque du Christ par ses signes extérieurs
étranges était rejeté comme impur sans distinctions d’origine de ses troubles
physiques ou psychiques: le démon rendait fou, aveugle, asthmatique, muet ou
paralysé.
Pour les juifs c’est l’expression d’un pêché personnel ou collectif.
Marie, une femme riche sans doute puisqu’elle met ses biens à la disposition de
la communauté et semble faire partie de la même classe sociale que Jeanne,
femme de Chouza, intendant d’Hérode.. Cependant une femme hors la loi, une
femme qui s’est rejettée volontairement hors des lois juives. Un détail
insignifiant est capital, elle parle,dumoins elle apprend la parole.
Pas un mot dans la scène du
lavement des pieds dans le scandale de sa présence car chez les juifs une femme
n’entre pas dans un dîner d’hommes. C’est Jésus qui s’adresse par deux fois à
elle, ce faisant la reconnaissant aux yeux de tous “tes pêches te sont remis
puis, insistant, “ ta foi t’a sauvé, vas en paix”
Dans cette société la femme
ne parle pas et l’homme ne parle pas à la femme devant les hommes, on doute de
sa capacité à comprendre.
Par la suite l’entreprenante
qui force la porte du repas chez le pharisien devient l’audacieuse. Elle va
acquérir la connaissance. Elle est la seul dans les Evangiles et qui plus est,
une femme à s’entretenir en tête à tête avec le Christ, la seule à bénéficier
de cette leçon privée pendant que Marthe prépare le repas (Luc 10, 38-42)
La rencontre avec le
jardinier deuxième leçon privée se dessine déjà, Jésus l’appelle de son
diminutif , de son petit nom, “Mariam” et elle répondra “Rabbouni!”, maître en
juif au sens de enseignant.
On ne peut comprendre
l’extraordinaire modernisme de Marie Madeleine si on ne se remet pas dans le
contexte de la religion juive de l’époque, tissu inextricable d’interdits qui
pésent encore de nos jours sur ce peuple. Car après avoir osé s’avancer vers
l’homme, après avoir receuilli son enseignement elle sera la témoin de sa mort
et là sa parole de Témoin va éclater devant tous. Nous suivons le véritable
reportage mené par cette femme, reporter de guerre bravant le danger face à la
cruauté et à la violance.
J’insiste encore sur son
engagement sans faille alors que tous les apôtres ont disparus des récits évangéliques.
Après le Mont des Oliviers il n’y a plus que Jean, le plus jeune le plus proche
du cercle des femmes qui soit présent et comme le double masculin de Marie
Madeleine dont les liens rapprochés avec le Christ ont donné matière à maintes analyses
pseudo-freudiennes. En effet, en forçant le trait, les apôtres sont trés souvent
incrédules et peureux, le contraire de notre sainte: Thomas qui ne croît pas ou
Pierre qui s’emporte et coupe l’oreille
du soldat ou nie par trois fois connaître Jésus.
C’est donc avec d’autres
femmes que notre reporter privilégié court annoncer à Pierre et à Jean la
disparition du corps du crucifié. Ils viennent constater le fait et s’en vont
tandis qu’elle, seule, revient sur les lieux en vrai professionelle pourrait-on
dire . Et c’est la rencontre, la
deuxième, leçon privée avec le jardinier des âmes. Lorsque elle rapporte la
grande nouvelle, la réaction tombe “mais les paroles lui semblèrent du
radotage, ils ne croyaient pas en elle” (Luc 24, 1-11)
Elle devient la revélatrice,
le témoin , celle qui transmet et mérite cette déclaration d’Hippolyte de Rome
“O, merveilleux renversement: Eve devient apôtre”
La popularité historique de
la sainte est immense: si ces traces se retrouvent en Provence avec sa soeur
Marthe elle est honorée à Exeter en Angleterre avant l’an mille, à Haberstadt
en Allemagne, à Messine en Sicile comme en Irlande à Tallagh, à Jérusalem, à Cordoue.
L’histoire officielle étant écrite sous influence de St. Bernard, commence les
incroyables voyages de son corps disputé entre les prétendants. Après le vol de
ses reliques par les bénédictins de Vézelay origine d’un immense pélerinage, le
tombeau est retrouvé à Sainte Maxime à la suite d’une campagne de fouilles au
13º siècle et c’est ensuite un incessant défilé des rois de France à la grotte
de la st Baume, de Saint Louis à Louis XIV.
On attirera l’attention à
propos du couronnement des rois de France sur l’importance de Marie Madeleine
dans la conception de cette cérémonie: elle fait le lien entre Dieu et ces monarques qui avaient le pouvoir
de guérir les malades en imposant les mains le jour de leur couronnement. En effet lorsqu’elle procéde à l’onction du
Christ à Béthanie, elle refait le geste significatif du sacre des rois d’Israël, repris par les rois
de France à Reims.
Personnage héroïque, plein
d’audace, aventureux et entreprenant, contre les idées recues, curieuse de tout enseignement, moderne et forte, voilà
celle qui apparait à Albacete. Cette voyageuse incroyable de son vivant et même
morte peut séjourner en ces lieux de modernisme et de vie.
La toîle centrale, le défi,
donne toute sa dimension volontaire au combat avec la chose noire, part d’ombre
d’absurdité, de non dit, de fatalité contre laquelle nous somme liés par le
flot de la vie, génétiquement programmés pour exister au milieu d’un océan de
doutes et d’incertitudes.
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